Pourquoi
n’aurait-on pas un QG à soi ? Le mien est ici : au bord de l’Alster,
juste derrière le théâtre « Winterhuder Fährhaus ». La première fois,
j’y suis allée pour des raisons pratiques. J’habite dans le coin et suis très
feignante. Depuis, d’autres raisons pratiques m’ont poussée à l’élire quartier
général de ma pomme. Le grand « Stadtpark » est envahi par des chiens
en liberté et des barbecues quand le temps le permet. Comme je n’aime ni les
chiens, ni l’odeur de la saucisse en plein après-midi, je lui ai préféré ce
petit bout d’herbe au bord de l’eau. Enfin d’herbe…ce qu’il en reste, car la
sécheresse exceptionnelle de cette année en plus du piétinement – le premier
entraînant le second – ont transformé la pelouse verte en étendue jaune et
abîmée à peine capable de recouvrir la terre.
Tous
les weekends ou presque, c’est rendez-vous au QG. Un livre, une couverture pour
se protéger du sol inconfortable, et bien sûr, mes écouteurs. Je me plonge d’ailleurs
plus volontiers et longuement dans des vidéos-clips imaginaires – où les
figurants qui m’entourent sont bien réels – que dans les romans apportés. Tout
est propice à l’évasion, à laisser passer le temps sans ressentir le besoin de
courir après, bercée par les différents quarts d’heure annoncés par le clocher
de l’église St. Johannis. Il se cache modestement sur l’autre rive, derrière
les feuillages, et s’il n’était pas là pour rappeler avec une telle obstination
que les secondes, minutes et heures existent et s’écoulent, le parcours du
soleil en face de moi suffirait à me l’indiquer. Plus vaguement certes, mais
qu’importe. Seuls comptent les figurants qui se succèdent à mon regard de réalisatrice
du dimanche.
Pendant
les journées les plus chaudes, des jeunes gens laissent exploser leur souffle
vital en sautant du pont réservé aux cyclistes et piétons pour faire résonner
leurs cris stridents dans l’air immobile et secouer l’eau froide de leur
adrénaline. Entre les sauts, les bateaux de touristes, stand up paddles et canoës
glissent devant ma caméra mentale, des groupes alcoolisés aux couples paisibles
dont le chien se prélasse au milieu de ses maîtres en plein effort. Leurs
ballades illustrent à merveille celles qui passent à travers mes oreilles,
tandis que le brouhaha des cyclistes et bruits divers au-dessus de ma tête
constitue un fond visuel acceptable pour un morceau des Hives, n’importe
lequel.
Et
puis il y a Alma. La star. Je n’aime toujours pas les chiens en général, mais il
arrive que des chiens en particulier me fassent fondre. Et samedi dernier au QG,
tout le monde était amoureux d’Alma. À peine arrivai-je sur la pelouse qu’elle
quitta le couple assis sur des chaises pliantes au bord de l’eau pour
m’accueillir. Des caresses, quelques tentatives délicieusement ratées de
prendre dans sa gueule des branches trop lourdes pour elle, et la voici qui me
quitte déjà pour un autre couple, à ma droite cette fois. Je compris alors que
ce sublime épagneul nain continental n’appartenait même pas au couple de vieux
jeunes avachis sur leurs chaises pliantes. Et non ! Alma allait avec tout
le monde et sa maîtresse, la vraie, avait beau l’observer avec un sourire et
l’appeler de temps en temps pour profiter de la peluche à son tour, elle
continuait ses visites câlines et joueuses d’étranger en étranger, avec une
nette préférence pour les couples. Un excellent moyen de doubler les caresses.
Les
admirateurs s’accumulaient en cette douce après-midi d’automne. Une mère et sa
fille se mirent à questionner la jeune étudiante sur les nom, sexe et
maternités passées ou futures d’Alma, avant de tenter, avec le concours de
l’heureuse propriétaire, de faire poser la star pour immortaliser cette
rencontre. Un vieux passant fit de même et lâcha sa canne pour confier son
appareil photo à la jeune femme.
Tout
cela, c’était le weekend dernier. Nous sommes aujourd’hui dimanche, soit huit
jours après le coup de foudre. Alma est là, se redresse pour me souhaiter la
bienvenue sur le sol de mon – notre – QG, mais elle est retenue par une laisse.
Allongée à côté d’une amie de sa maîtresse studieuse, elle devra réserver ses
caresses et léchouilles à ce bipède fort possessif. L’été indien n’a jamais été
aussi superbe qu’en ce quatorze octobre deux-mille dix-huit, et Alma, même
privée de distribution d’amour, reste la star du QG, à l’image d’un soleil pourtant
couche-tôt.
;) (o+o)
RépondreSupprimer=