dimanche 11 novembre 2018

Un QG au bord de l'Alster


Pourquoi n’aurait-on pas un QG à soi ? Le mien est ici : au bord de l’Alster, juste derrière le théâtre « Winterhuder Fährhaus ». La première fois, j’y suis allée pour des raisons pratiques. J’habite dans le coin et suis très feignante. Depuis, d’autres raisons pratiques m’ont poussée à l’élire quartier général de ma pomme. Le grand « Stadtpark » est envahi par des chiens en liberté et des barbecues quand le temps le permet. Comme je n’aime ni les chiens, ni l’odeur de la saucisse en plein après-midi, je lui ai préféré ce petit bout d’herbe au bord de l’eau. Enfin d’herbe…ce qu’il en reste, car la sécheresse exceptionnelle de cette année en plus du piétinement – le premier entraînant le second – ont transformé la pelouse verte en étendue jaune et abîmée à peine capable de recouvrir la terre.

Tous les weekends ou presque, c’est rendez-vous au QG. Un livre, une couverture pour se protéger du sol inconfortable, et bien sûr, mes écouteurs. Je me plonge d’ailleurs plus volontiers et longuement dans des vidéos-clips imaginaires – où les figurants qui m’entourent sont bien réels – que dans les romans apportés. Tout est propice à l’évasion, à laisser passer le temps sans ressentir le besoin de courir après, bercée par les différents quarts d’heure annoncés par le clocher de l’église St. Johannis. Il se cache modestement sur l’autre rive, derrière les feuillages, et s’il n’était pas là pour rappeler avec une telle obstination que les secondes, minutes et heures existent et s’écoulent, le parcours du soleil en face de moi suffirait à me l’indiquer. Plus vaguement certes, mais qu’importe. Seuls comptent les figurants  qui se succèdent à mon regard de réalisatrice du dimanche.

Pendant les journées les plus chaudes, des jeunes gens laissent exploser leur souffle vital en sautant du pont réservé aux cyclistes et piétons pour faire résonner leurs cris stridents dans l’air immobile et secouer l’eau froide de leur adrénaline. Entre les sauts, les bateaux de touristes, stand up paddles et canoës glissent devant ma caméra mentale, des groupes alcoolisés aux couples paisibles dont le chien se prélasse au milieu de ses maîtres en plein effort. Leurs ballades illustrent à merveille celles qui passent à travers mes oreilles, tandis que le brouhaha des cyclistes et bruits divers au-dessus de ma tête constitue un fond visuel acceptable pour un morceau des Hives, n’importe lequel.

Et puis il y a Alma. La star. Je n’aime toujours pas les chiens en général, mais il arrive que des chiens en particulier me fassent fondre. Et samedi dernier au QG, tout le monde était amoureux d’Alma. À peine arrivai-je sur la pelouse qu’elle quitta le couple assis sur des chaises pliantes au bord de l’eau pour m’accueillir. Des caresses, quelques tentatives délicieusement ratées de prendre dans sa gueule des branches trop lourdes pour elle, et la voici qui me quitte déjà pour un autre couple, à ma droite cette fois. Je compris alors que ce sublime épagneul nain continental n’appartenait même pas au couple de vieux jeunes avachis sur leurs chaises pliantes. Et non ! Alma allait avec tout le monde et sa maîtresse, la vraie, avait beau l’observer avec un sourire et l’appeler de temps en temps pour profiter de la peluche à son tour, elle continuait ses visites câlines et joueuses d’étranger en étranger, avec une nette préférence pour les couples. Un excellent moyen de doubler les caresses.

Les admirateurs s’accumulaient en cette douce après-midi d’automne. Une mère et sa fille se mirent à questionner la jeune étudiante sur les nom, sexe et maternités passées ou futures d’Alma, avant de tenter, avec le concours de l’heureuse propriétaire, de faire poser la star pour immortaliser cette rencontre. Un vieux passant fit de même et lâcha sa canne pour confier son appareil photo à la jeune femme.
Tout cela, c’était le weekend dernier. Nous sommes aujourd’hui dimanche, soit huit jours après le coup de foudre. Alma est là, se redresse pour me souhaiter la bienvenue sur le sol de mon – notre – QG, mais elle est retenue par une laisse. Allongée à côté d’une amie de sa maîtresse studieuse, elle devra réserver ses caresses et léchouilles à ce bipède fort possessif. L’été indien n’a jamais été aussi superbe qu’en ce quatorze octobre deux-mille dix-huit, et Alma, même privée de distribution d’amour, reste la star du QG, à l’image d’un soleil pourtant couche-tôt.



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