mercredi 29 novembre 2017

Le marché aux moutons


Dans sa belle démesure
Le grand peuple germanique
A greffé à sa culture
Une idée frigorifique

Couleurs gaies sur climat triste
Faux chalets en contreplaqué
La fête des altruistes
Arrive comme l’an passé

Odeur tenace de vin chaud
Jouets en bois made in China
Séduisent les Occidentaux
Si proches de leur nirvana

De nos nuits interminables
Il a un jour fallu sortir
D’une naissance croyable
La Lumière devait jaillir

Cette fin de calendrier
Sonne le début de l’enfer
La retenue est décriée
Au royaume du grégaire

Parez sapins, rues et maisons
Dépensez, mangez, souriez
Mettez-vous tous au diapason
Des sans-abris ayez pitié

Oui, Noel est si magique
Elle nous rend solidaires
Et à peine hystériques
Sous l’injonction populaire

Dans ce joyeux stress collectif
Nous détestons ces salopards
Qui devenus trop dépressifs
Mettent nos métros en retard

mercredi 1 novembre 2017

L'imprudence des bavardes


Claire porte vraiment bien son prénom. C’est une fille sans mystère : elle parle comme un livre, ou plutôt comme un « Marie-Claire » ou un « Elle » ouvert. Aucune profondeur, aucune zone d’ombre, une première discussion avec cette quadra mondaine vous suffit pour connaître son cycle menstruel, ses habitudes alimentaires, sa vie sexuelle, sa journée type, son enfance, ses problèmes de peau et même ses chanteurs préférés. Mère de deux enfants aussi parfaits à ses yeux qu’insupportables à ceux du monde, ils sont inéluctablement son sujet de prédilection. Tous ses interlocuteurs se retrouvent prisonniers du récit de leurs activités sportives, résultats scolaires, lubies, fréquentations et exploits purement subjectifs en tout genre. Secrétaire de profession, elle surprend n’importe quel observateur, même inattentif, par son fourvoiement évident : au lieu d’un tel poste réclamant un minimum de discrétion, concierge est sa véritable vocation. Elle l’ignore.
Tout comme elle ignore les nombreuses conquêtes de son mari. Une à la fois seulement, mais depuis tant d’années. Monsieur a des responsabilités. Directeur des achats pour une marque de maroquinerie de luxe, il se retrouve souvent aux quatre coins du monde pour négocier de gros contrats, et tandis que la parole de sa femme n’a aucune valeur intellectuelle ni marchande, la sienne pèse des millions de dollars. Pour éclairer les tristes nuits de solitude de José Schwartz passées à l’hôtel après de longues journées de visites et séminaires, sa boîte lui propose toujours les services d’une escort. Chose que le séduisant quadra refuse systématiquement. D’une part, il savoure toute soirée passée loin du dégueulis oral quotidien de sa chère et tendre. D’autre part, sa maîtresse Jolène vaut toutes les prostituées du monde car non seulement elle est gratuite, mais surtout elle se tait.
Au siège de la société, tout le monde sait que Claire est cocue. Tout le monde l’écoute attentivement raconter sa vie si captivante pour se fournir en matière à plaisanterie dès que Madame a le dos tourné. N’importe quelle femme aurait en temps normal pressé le bouton de la solidarité féminine pour lui révéler les déviances de son mari, mais Claire fait preuve de tellement de nombrilisme lors de ses interminables monologues qu’elle n’inspire aucune compassion. La seule pensée que sa situation évoque dans l’esprit de tous, hommes et femmes confondus, se résume en un sincère « Bien fait pour sa gueule ».
Inutile de dire qu’elle n’a pas toujours été ainsi. Une secrétaire sans diplôme n’aurait eu aucune chance de rentrer dans un grand groupe, et encore moins de sortir avec le jeune cadre dynamique qu’était José il y a quinze ans, si elle n’avait montré aucun autre intérêt pour quoi que ce soit d’autre que sa personne et passé son temps à cancaner. Non. En plus de son anglais impeccable qu’elle doit uniquement à son papa originaire du Sussex, elle était à l’époque très jolie, plutôt silencieuse et à la limite de la nymphomanie.
Malheureusement rien ne dure, et même si sa beauté lui a laissée de beaux restes, la maternité l’a transformée. Son obsession pour le sexe s’est reportée sur sa descendance dès le premier enfant. Reine du narcissisme au royaume des très jolies princesses capricieuses, son intérêt pour les plaisirs de la chair lui a jadis permis de se faire remarquer par un honnête homme. Mais à la première progéniture née, le masque est tombé et l’égoïsme absolu s’est matérialisé en un petit être, prolongation du sien. Le monde extérieur s’efface alors, seuls les mini-moi comptent aux yeux du moi d’origine. Et vice-versa, car de jeune secrétaire sexy génératrice de fantasmes, Claire a sauté à pieds joints dans le piège tendu à toutes les femmes imbues de leur personne qui se mettent à enfanter.

Elle n’a rien vu venir et ne voit toujours rien. Ses bavardages ont eu raison d’elle, de son couple et de ses relations sociales. Jeunes narcisses des temps modernes, prenez-garde à votre langue, tenez-là ; pour les autres, et surtout pour vous.