Ni les guêpes, toujours déterminées à lui gâcher ses rares sorties au
parc, ni les moustiques qui prennent le relai au crépuscule, ne parviennent
plus à l’agacer. La déprime – dépression ? – ce n’est pas l’incapacité à
se réjouir, mais le manque de forces nécessaires à l’agacement. On y est.
Qui a décrété que l’automne et l’hiver seraient les uniques saisons
tristes, tandis que le printemps devrait être le théâtre de toutes les
réjouissances terrestres ? Certainement pas Clément, car la saison chaude
se matérialise chez lui par une douleur lancinante.
Il souffre aussi l’hiver, mais peut au moins partager sa tristesse avec
le monde minuscule qui gravite autour de lui : les commerçants, voisins et parents ont tous la décence de se limiter au strict minimum en matière
de mouvements de vie, le tout ponctué de rhumes divers et répétitifs. Nez
rouges sur visages carencés en vitamine D.
C’est pendant la saison gaie que les choses se gâtent, et Clément pourrit
chaque année de l’intérieur. L’injonction à être bronzé lui pèse, comme celle à
être heureux quand le jour semble sans fin. Pourquoi prendre le soleil et
laisser sa pâleur rougir et le faire souffrir ? Pourquoi aimer le clair
quand l’obscur stimule tant ?
Clément est ce qu’on appelle trivialement un « geek ». Il aime
les jeux en réseau, s’y adonne jusqu’à douze heures par jour et ne sort jamais
sa jeune carcasse de son appartement miteux, sauf pour s'approvisionner en vivres et se rendre à ces stupides
rendez-vous Pôle Emploi indispensables à sa subsistance.
Les histoires d’hommes se ressemblent toutes. C’est drôle, non ? On
a un travail – petit CDD d’un an parce que même dans l’informatique, c’est tout
ce que Rennes a à offrir, un appartement bien situé dont le loyer ne représente
pas plus du tiers du revenu mensuel net – un deux-pièces-cuisine calme et
lumineux, et surtout une charmante petite amie avec qui le partager.
Le contrat de travail se termine, l’homme se transforme peu à peu en loque
acariâtre, s’imaginant retrouver un travail sans le moindre effort par l’opération
du Saint-Esprit, et sa bien-aimée finit inéluctablement par le quitter. Puis la
descente s’accélère. Tout est perdu, il ne reste qu’à en faire encore
moins que le rien pré-rupture.
Voilà en substance l’histoire de Clément, avec une petite poignée de
mois pour séparer la catastrophe professionnelle de sa successeuse amoureuse.
Ses parents s’inquiètent, veulent le secouer, sa petite sœur passe même faire
le ménage dans son taudis pestilentiel. Mais seul le contact avec les autres
joueurs en réseau l’intéresse.
Alors le solstice, très peu pour lui. Clément souffre chaque année de cette
joie environnante, de cette influence de la nature sur les humains-animaux, car
son corps est étranger à sa conscience en veille. La lumière, les douces soirées,
la libido en éveil ? Tant de notions qui l’indiffèrent absolument.
Mais jusqu’où cette amplification solsticiale de la tristesse le mènera-t-elle ?
Comme c'est bien vu, belle analyse d'un jeune en voie de désocialisation comme on en voit hélas beaucoup... espérant que ça ne soit pas un de tes proches - mais il y en a partout, de ces contempteurs de la nature, du printemps et de la vie même, comment y échapper...
RépondreSupprimerJ'irai pas jusqu'à dire que "c'était mieux avant sans tout ce progrès technologique indésirable et nocif" - mais je le pense.
Merci :) En revanche, je pense que la désocialisation et la dépression ne sont pas arrivées avec la technologie. La forme est différente, le fond a toujours existé. Enfin je suppose.
SupprimerAtchi !
RépondreSupprimerJe crois que je viens de me prendre un chaud effroi 0_0'
À tes souhaits !
SupprimerTrès beau texte, surprenant, qui nous retourne comme une crêpe !
RépondreSupprimerRavie qu'il vous ait parlé. Si j'arrive à toucher les gens et à les faire réfléchir avec mes textes, alors je suis la plus heureuse des "bloggeurs".
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