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samedi 6 janvier 2018

La claque de bienvenue



Le sourire aux lèvres et les dents prêtes à rayer le parquet, la voilà le cœur léger et les bagages minces dans cette jungle de béton aux gratte-ciel mangeurs d’humains. On n’a pas tous les jours vingt ans, ça nous arrive une fois seulement, qu’elle disait l’amie Berthe, et  il fallait que la gamine en profite.  « À nous deux la grande ville ! », s’était-elle dit dès le premier jour.
Et elle a enchaîné les nuits folles, avec toujours suffisamment d’alcool, mais jamais trop, car elle ne voulait pas se faire dévorer par les ogres qui avaient fait l’objet de tant de mises en garde par son papa. Pourtant, le JT de France 3 Limousin n’avait pas su l’avertir du danger de l’amour amer de la ville. Alors ce qui devait arriver est arrivé, et la belle plante a eu le coup de foudre pour un tombeur aux yeux clairs. Il était plus beau que beau parleur, et surtout,  à l’aise « dans le monde » ! Elle était si timide, car l’excitation de l’inconnu ne remplace jamais le désarçonnement premier,  et s’est tout de suite laissé impressionner par l’homme viril et sûr de lui. La jeune fille ne manquant pas de caractère et le bourreau de son cerveau n’étant pas vraiment chaud pour lâcher du lest, une relation passionnelle s’est installée dès le départ.

Pas une visite chez l’un ou chez l’autre sans dispute et promesse de rupture. Et comme on répétait depuis vingt ans à la bougresse qu’elle avait la tête dure, elle a rapidement mis son cerveau en veille et ignoré l’évidence : le problème c’était lui. On appelle ça un pervers narcissique. Si vous prenez une liste des données techniques du manipulateur pervers pour les comparer à celle de la bête en question, vous devrez tout cocher. Oui, tout collait. Inutile de rentrer dans les détails psychiatriques, mais pour faire court, il était séduisant, donc irrésistible, menteur, coureur, retournait tout contre la gonzesse pour qu’elle culpabilise. L’entreprise de manipulation permanente était vouée à la réussite grâce à une seule chose : la pauvre fille était dans une situation d’infériorité puisqu’elle découvrait la jungle et que lui se balançait sur sa corde d’un arbre à l’autre avec l’assurance d’un méchant Tarzan. Partant de ce constat, le mauvais bougre n’avait plus qu’à réduire l’ego de sa Jane à tous les niveaux possibles pour qu’elle lui soit chaque jour un peu plus docile. De ses proches à ses origines, en passant par son accoutrement et sa sensibilité musicale, tout y passait. Le plus cruel était les comparaisons permanentes avec les autres femelles de la forêt hostile. Elles étaient décidément toutes plus belles, selon lui. Et les détails fusaient ! La gamine a failli y croire totalement : elle était moche et ne faisait pas le poids face à toutes ces reines de la jungle, toutes plus fortes et mieux parées qu’elle. Sans sa belle tripotée de prétendants, elle en aurait été convaincue pour toujours.

Car Jane avait fort heureusement une vie bien remplie en dehors du mâle, et elle a rencontré des compagnes et compagnons forts sympathiques. Bien entendu, Tarzan n’aimait pas trop ça. Comme tous les sombres énergumènes de son genre, il était incapable de nouer des liens, et c’est précisément pour cela qu’il était tombé amoureux d’une lumière. Mais peu importe, le travail, meilleur divertissement pascalien et rempart contre les passions tristes, a eu raison de cette folie en envoyant la fleur à demi fanée s’épanouir à nouveau dans une autre jungle plus petite. Sauvée !
Après tout, elle n’a pas été la première et ne sera pas la dernière fleur de province à se faire avoir par le polluant citadin. Espérons toutefois que cette mésaventure ne l’ait pas transformée en...