On peut aussi appeler cette soirée « La Claque du siècle ». Une claque fait mal et laisse des traces lorsqu’elle est envoyée avec force, mais elle marque aussi les esprits quand on ne la voit pas arriver. Et c’était le cas ce soir-là. J’avais pris mon billet longtemps à l’avance pour voir ce petit groupe mythique de post-punk britannique – plus à cause du nom que par intérêt profond et grande connaissance des morceaux. Et en plus, c’était pas cher. Comme d’habitude à cette époque de dur labeur salarié, j’ai fait précéder le concert d’une sieste extensible à coups de fonction « Snooze ». Rappelons que la petite réjouissance avait lieu fin octobre à Hambourg, soit la période la plus horrible dans la capitale hanséatique. Pour faire court, octobre-novembre à Hambourg, c’est tempêtes régulières et 50 nuances de gris tous les jours. Heureusement que cette saison nous apporte les plus beaux couchers de soleil de l’année
Depuis mon bureau près du Rathaus,
et que la Große Elbstraße offre une vue imprenable sur le port by night.
Justement le
Hanfeklang, parlons-en. Cette petite salle underground a l’avantage de se
situer au bord de l’eau et un peu à l’écart de la tonitruante Reeperbahn et de
ses clubs enfumés. Quant à sa programmation, elle est pointue et fort réjouissante.
La preuve, Gang of Four ou encore Sham 69 l’année suivante n’ont pas vraiment
multiplié les dates en Allemagne. Alors bravo à l’équipe du Hafenklang qui a su
attirer du roastbeef qualitatif.
À ce sujet, Hambourg
est la ville la plus anglaise d’Allemagne, avec ses nombreux expats et
visiteurs du weekend venus tout droit de la perfide Albion grâce aux lignes
ultra bon marché de Ryanair. Ce soir-là, je pense avoir été non seulement la
seule Française du public, mais aussi l’une des seules personnes du continent.
Les Nords-Allemands étaient peut-être dans la place, mais comment les repérer
au milieu d’une petite foule d’Anglais déchaînés/bourrés/défoncés ? Comme à leur habitude, nos ennemis
héréditaires sont déchaînés et leur énergie est autant responsable de la
qualité du concert que les artistes qui envoient le pâté sur scène.
Le réveil n’ayant jamais été mon point fort, je rate la première partie. Peu importe. Le groupe débarque et…surprise…le guitariste Andy Gill est le seul membre de la formation originale du groupe. Petite parenthèse : ce guitariste au style très particulier – The Edge l’a souvent cité comme influence – a eu une carrière de producteur après Gang of Four et avant le come-back du groupe avec un line-up rajeuni. Il est décédé à seulement 64 ans en février 2020 ; les rumeurs le disent victime prématurée du COVID-19 avant que la pandémie ne s’attaque à l’Europe.
Les trois pièces rapportées sont géniales. Le bassiste est canon et déborde de charisme et de sensualité inconsciente,
Le tout donne – et je pèse mes mots près de quatre ans
plus tard – le meilleur concert auquel j’ai assisté. Des pogos, des sauts, j’étais
littéralement transportée. Leur son est génialissime, et je crois bien que
Damaged Goods possède les meilleures paroles en langue anglaise.
Je ne sais pas
combien de temps le concert a duré, je ne sais pas qui j’étais à ce moment-là.
Personne, sans doute. Et c’est la plus belle sensation au monde. Peu d’expériences
sont capables de l’offrir, et les concerts en font partie. Il n’y a rien de plus
ineffable qu’un excellent concert, alors comme le disait très justement un
Hambourgeois à son pote – la preuve qu’il y en avait dans la salle, finalement –
au moment de pousser la porte du Hafenklang sur la nuit glaciale du port et en
soufflant un bon coup : « Wow !... Ja, einfach wow ! ».
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