Tu te souviens ? Le repas à la cantine en tête à tête avec le vide, les
récréations passées dans les toilettes
pour t’oublier et te faire oublier, la soirée de l’année où tout le lycée était
invité, sauf toi bien entendu. Puis sont arrivées les moqueries et le
harcèlement sur les réseaux sociaux. En
même temps tu l’avais bien cherché car transgresser les clous se paye tôt
ou tard : que tu aies un sale caractère et une mine renfrognée pour cacher
ta sensibilité, que tu ne portes pas des fringues de marques comme il faut ou que tu sois de nature timide,
la société ne le tolère pas. La ligne rouge à ne pas dépasser est celle de la
différence, aussi minime soit-elle, et bien évidemment des signes de faiblesse.
Le jugement divin est toujours là. BigBrother is watching you. Ne pas être à l’aise en société sans parvenir à se
forcer, rejet. Ne pas sourire, rejet. Etre trop timide pour regarder les gens
dans les yeux, rejet. Etre le premier de la classe et chouchou des profs,
rejet. Etre nouveau, étranger, rejet. L’inhabituel se transforme en soupçon aux
yeux des autres et le louche se rejette par un mécanisme de protection vitale.
Car la petite société, quelle qu’elle soit, ne survit qu’en éliminant ce qui pourrait mettre en branle ses petites règles arbitraires et gravées dans le marbre : parler fort (être fort), sourire en toutes circonstances (ne pas laisser transparaître ses dangereuses émotions potentiellement contestataires, être fort donc), ressembler à la masse (la différence est souvent perçue comme un signe de faiblesse, tous les régimes totalitaires ayant tenté de l’éliminer pour préserver la force de leur peuple), avoir les mêmes goûts que les autres (être ringard ou décalé est encore une fois non acceptable). Comme toute société primitive, les microsociétés humaines aux apparences civilisées éliminent naturellement les faibles et différents. Plus besoin de les tuer, la civilisation a trouvé des solutions bien plus propres : la moquerie, l’humiliation et quelquefois l’ignorance. Autant de ramifications du rejet. Bien évidemment, certains milieux restent sur la bonne vieille ligne de la violence et du tabassage, forme la plus aboutie de l’humiliation.
Car la petite société, quelle qu’elle soit, ne survit qu’en éliminant ce qui pourrait mettre en branle ses petites règles arbitraires et gravées dans le marbre : parler fort (être fort), sourire en toutes circonstances (ne pas laisser transparaître ses dangereuses émotions potentiellement contestataires, être fort donc), ressembler à la masse (la différence est souvent perçue comme un signe de faiblesse, tous les régimes totalitaires ayant tenté de l’éliminer pour préserver la force de leur peuple), avoir les mêmes goûts que les autres (être ringard ou décalé est encore une fois non acceptable). Comme toute société primitive, les microsociétés humaines aux apparences civilisées éliminent naturellement les faibles et différents. Plus besoin de les tuer, la civilisation a trouvé des solutions bien plus propres : la moquerie, l’humiliation et quelquefois l’ignorance. Autant de ramifications du rejet. Bien évidemment, certains milieux restent sur la bonne vieille ligne de la violence et du tabassage, forme la plus aboutie de l’humiliation.
Ironie de l’histoire, les sociétés humaines veulent se préserver en niant les individualités, et donc l’humanité !
Alors tu l’as connu le rejet, trop bien connu. Toute cette souffrance maculée
de larmes sacrifiées sur l’autel du devenir-adulte pour aboutir à un être pas vraiment
accompli et encore moins confiant envers lui-même et les autres. Car non, ce
qui ne tue pas ne rend PAS plus fort, il affaiblit. L’enfant ou adolescent trop
rejeté ne se transforme qu’en adulte semblable
à un petit animal blessé, tellement sur la défensive qu’il en devient agressif.
Or un Homme ne demande rien d’autre que d’être aimé et accepté, et même si la
victime du rejet se complait bien souvent dans sa position d’être maudit car supposé
supérieur, un jour viendra où elle relâchera la bride de la méfiance et s’adonnera
à des relations amicales, voire amoureuses. De par ses lacunes irrécupérables en
attention, la personne attendra alors de toute relation qu’elle comble les
crevasses du passé. Cela étant impossible, la déception n’en sera que plus
intense, le bon vieux sentiment de rejet s’emparera alors de tout son être et
tandis que les autres animaux non blessés mettront un certain temps à s’en
remettre, l’adulte fragilisé par sa jeunesse mettra un temps certain à oublier
l’amour non réciproque, la trahison ou la rupture. Le cercle vicieux se boucle
alors. L’être déjà fragilisé a souffert d’un nouveau rejet, mettra encore plus de
temps à refaire confiance, ses attentes placées dans une relation seront amplifiées
le jour où il accordera enfin sa confiance, et il souffrira le martyre au
moment du couteau dans le dos. Tandis que les « finis », les « normaux »
ne remettront pas tout leur être en question face à l’inévitable rejet, du moins
pas durablement, les « brouillons », les « écorchés » s’écrouleront.
Tu dois vivre avec, petit chat, et prendre conscience de ton passé
douloureux et de ses conséquences dans tes rapports trop passionnés et
exigeants avec les autres n’y changera rien. Comment veux-tu faire confiance
plus facilement, avoir des attentes réalistes vis-à-vis de ceux qui croisent
ton chemin et vite oublier les déceptions alors qu’il manque des pièces dans la
charpente ? Elle n’est pas solide et menace de s’effondrer au moindre
souffle du loup de la cruauté humaine.
Alors pour te rassurer, ne serait-ce que quelques instants, je vais te
donner une astuce éprouvée : regarde ce que sont devenus les filles et garçons
populaires de ton collège/lycée ? Ne trouves-tu pas qu’ils ont vieilli
plus vite que toi et qu’ils ont objectivement raté leur vie ou accédé à une
réussite peu enviable ? Un indice pour t’aider à répondre à la question :
le nombre de photos de sourires sur les réseaux sociaux est proportionnel au
pathétique de leur vraie vie cachée.
Tu vois, ça marche. Et n’oublie pas que le vilain petit canard se
transforme en cygne, animal très méchant - caractère dû à son passé d’oiseau
aquatique rejeté à cause de sa laideur-, mais gracieux et admiré de tous. Tant
qu’à faire, prends !
Bibliographie :
Sur le Rejet :
Kafka, Kafka et Kafka !
La métamorphose, mais surtout Le Château, Le Disparu et bien sûr Lettre au père pour comprendre la source du mal
Sur le Rejet :
Kafka, Kafka et Kafka !
La métamorphose, mais surtout Le Château, Le Disparu et bien sûr Lettre au père pour comprendre la source du mal
Sur l’humiliation organisée et laissant présager des pires horreurs de
l’Histoire de l’humanité :
Les Désarrois de l'élève Törless, Robert Musil
Sur le rejet et la violence d’un certain milieu :
En finir avec Eddy Bellegueule, Edouard Louis
Sur la différence et le rejet menant à l’errance, à la misanthropie, mais
surtout au cygne (en l’occurrence, littéraire)
L’Attrape-cœurs, J.D. Salinger
Sur le rejet parental, quelques humiliations de la part des autres enfants et
leurs conséquences sur la personnalité adulte :
Les particules élémentaires, Michel Houellebecq
Sur le rejet et l’abandon (quelle différence ?) à peine abordés mais à l’origine d’immenses
espoirs dans l’Amour :
TOUS les personnages principaux des romans de Houellebecq, en particulier ceux
de Plateforme et de La Carte et le Territoire
La biblio soutient parfaitement votre propos. Si je puis, j'ajouterais "Extension du domaine de la lutte", roman houellebecquien fondateur - tous les thèmes qui seront "allongés" plus tard y figurent.
RépondreSupprimerUn peu de provoc, mais pas tant que cela (?) : "There's no such thing as society" d'une certaine Maggie Thatcher...
Effectivement, le collègue laid et vierge souffre cruellement du le rejet des femmes.
SupprimerAh Maggie, mais je ne me suis pas prononcée sur le plan économique :)
Oui, belle bibliographie (Paleine) qui n'amoindrit pas votre pensée. Vous êtes très différente sur votre blog et dans votre participation aux commentaires d'un autre blog. Sans concession, ici. Et c'est tonique !
RépondreSupprimerParce qu'ici, je suis chez moi :)
SupprimerDécidément j aime bien... C est très juste.
RépondreSupprimerMais au bout du compte, on est reconnaissable.
Évidemment quand j'étais enfant et adoptée, il n'y avait pas de réseaux sociaux et nous étions des petites filles bien gentilles... Je n'ai pas lu Houellebecq...
Pardon adolescente...
SupprimerPivoine.
Merci :) Il est vrai que les réseaux sociaux sont dramatiques - parfois tragiques - pour les jeunes harcelés d'aujourd'hui.
Supprimeratterrant, et internet démultiplie la méchanceté comme les bas instincts - comme référence il y a aussi "sa majesté des mouches" de Golding, qui montre que la cruauté est innée
RépondreSupprimerIntéressant. Merci pour la référence.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerCe n'était pas un article autobiographique, mais merci pour votre commentaire. Je suis aussi très sensible à l'instinct grégaire (cf. ici dans un tout autre registre http://rockandvolk.blogspot.de/2017/11/le-marche-aux-moutons.html). Disons que dans l'humiliation des autres, cet instinct a le don d'anesthésier toute humanité dans ceux qui y succombent.
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