dimanche 7 janvier 2018

La chevauchée acide



Je chevauche ma licorne bleu, rose et jaune aux reflets violets. Un léger coup de pied contre son flanc et ses sabots en mousse se mettent à rebondir de plus en plus fort sur le sol dur et sec de l’immensité désertique. Et c’est parti pour la chevauchée de la Walkyrie peace and love ! J’ai confiance en ma monture et sais qu’elle me mènera au meilleur. Il fait chaud et le souffle de la vitesse transforme la température écrasante en atmosphère voluptueuse. Des enceintes géantes installées entre mes oreilles diffusent tour à tour les classiques des Pink Floyd, de Santana et de Janis Joplin. « Take another little piece of my heart now, baby ». Je me force à ouvrir mes yeux fermés par toute cette musique sublime pour admirer le reg. Le soleil est au plus haut et fait ressortir avec majesté l’ocre de la terre parsemé du gris ardoise des pierres. Ce même sol aride s’étend à perte de vue, de temps à autre agrémenté de hippies multicolores en route sur leur licorne, en pleine activité de copulation ou d’aspiration de calumets pendant que leur palefroi à la guimauve reprend son souffle.

Le chemin vers le meilleur semble infini. Peut-être est-il éternel ? J’ai déjà oublié où il a commencé. Quant à l’heure de mon départ, elle me paraît aussi improbable que celle de mon arrivée. Peu m’importe, je sais que mon guide connaît notre parcours comme sa corne. Le temps a disparu et le soleil ne veut plus s’abaisser. Je ne transpire pas et aucune sensation de soif ou de fatigue ne se manifeste. Même le plaisir charnel du souffle a disparu. Mon corps se fait oublier : je ne suis qu’esprit en déplacement. Un esprit composé de particules musicales et de reconnaissance envers dame nature.

Ce n’est qu’au moment inattendu de l’arrêt de ma licorne que ma substance prévient mon essence de sa présence. Je descends alors de Cockie et m’écroule lentement sur le sol caillouteux. Mon corps s’est engourdi pendant le long trajet. Le temps que je reprenne peu à peu conscience de ma matière charnelle, le soleil disparaît et Cockie s’allume pour m’éclairer. Par ailleurs, ma combinaison ample 100 % polyester avec un imprimé de cercles rouges et bâtons vert Granny Smith se révèle phosphorescente. Enfin je reprends tout à fait possession de mon corps et caresse la corne de Cockie de la base vers la pointe en signe de remerciement pour ses efforts. Avec son humilité légendaire, elle me répond « de rien » en tapotant sa longue tête contre ma joue. Des sons apaisants d’animaux me parviennent. Les susurrements des grillons de mon enfance nordiste ont été remplacés par les gémissements stridents de petits oiseaux de nuit dont j’ignore autant le nom que l’apparence. La fatigue se fait sentir d’un coup et mes enceintes intérieures ont à peine le temps de me jouer une berceuse rose « So, so you think you can tell, heaven from hell »...

Réveillée par les oiseaux de jour chantant l’arrivée du soleil pourpre, je souris à la vue de ma paisible Cockie blottie contre moi. Soudain, les propriétés de la terre du meilleur se mettent en branle et Cockie tremble de plus en plus fort. Inquiète puis confiante, j’attends la fin du processus quelque peu déroutant. La corne de mon destrier si fidèle tombe quelques centimètres plus bas, sa tête se secoue au rythme de son rétrécissement et de son adoption de traits humains. Sa crinière se compacte avant de se boucler et tout son être est pris de violents spasmes rythmant la formation de chacune des parties du corps humain. La métamorphose est terminée.

Dès les premiers instants de l’épopée, une confiance aveugle en Cockie avait pris possession de moi. Mais alors que je pensais être bien arrivée au meilleur, je me dis que ce n’est pas la confiance qui aurait dû être aveugle, mais moi-même ! Car cette abrutie de licorne s’est transformée en un mâle humanoïde dégoûtant : le visage de Woody Allen greffé sur le corps d’Harvey Weinstein. Coup de chance dans mon malheur, la bête est tellement grasse qu’on ne voyait pas ses attributs. Dans un élan de rage plus que de désespoir, et consciente qu’il faut jouer la montre pour éviter que cette grosse chose immonde ne me saute dessus, je saisis rapidement une lourde pierre et assomme Woody Weinstein. Il meurt sur le coup. 

Je fends alors à toute berzingue le reg de ma combinaison de madone déglinguée en direction du premier groupe de hippies trouvable. Pendant ma course mystique, j’en conclus que Cockie ne m’a peut-être pas menée au meilleur, mais elle ne m’a pas non plus offerte au pire. Seigneur vaudou, pardonne-moi mes offenses, car j’ai délivré les femmes du mal.


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