Dès son troisième mois de grossesse, ma femme fut persuadée que notre
deuxième enfant serait une fille. Le présumé instinct maternel nous trompa puisque
un joli garçon sortit de son ventre. Je ne peux nier, au-delà de la situation
actuelle, que la nouvelle me déçut quelque peu. Mais contrairement à ses
parents qui rêvaient du choix du roi,
notre premier fils, du haut de ses deux petites années, voulait coûte que coûte
un petit frère. À son arrivée dans la maison familiale, Xavier reçut un très
bon accueil de la part de son aîné : celui-ci dépassa son premier
sentiment de jalousie après avoir compris qu’il avait gagné un camarade de jeu inférieur.
Très vite, deux caractères diamétralement opposés s’affirmaient. Antoine développait
naturellement cette sagesse de l’aîné, celle du premier arrivé qui obéit à ses
parents et intériorise son rôle de modèle. Face à lui, Xavier montrait un
esprit rebelle et fantasque. Peut-être ma femme le couvait-elle trop à cause de
sa santé fragile. Plus chétif, mais aussi plus extraverti que son grand frère,
il devint très jeune le petit protégé de ma femme. Je la confrontais de temps
en temps à ce sujet et même si elle s’en défendait avec une grande hypocrisie,
je voyais bien sa tendresse particulière pour Xavier. Elle retrouvait en lui le
charme teinté d’impétuosité de ses ancêtres arméniens. Il était très doué pour
amuser la galerie et nous causer du souci avec son comportement dissipé au
collège. Tandis qu’Antoine n’était qu’ordre, sérénité et intelligence discrète,
Xavier était bruit, fureur et charme effronté. Le premier se dirigea tout naturellement
vers des études d’avocat, le type de cursus qui rend les parents fiers. Et nous
l’étions. Je suis moi-même notaire, fils de magistrat et jamais je ne pus
imaginer une autre voie que le droit ou pour mes enfants.
Disons que Xavier détrompa mes espoirs et n’eut pas tout à fait la même
réussite scolaire que son frère. En
plus de son agressivité envers ses camarades, il faisait preuve d’un désintérêt
non dissimulé pour l’école. Pourtant il aimait lire, était curieux de tout, et
même très intelligent. Mais au lieu de se soumettre aux contraintes scolaires
pour trouver sa voie à travers elles, notre benjamin excentrique parlait dès le
collège de devenir célèbre, tantôt comme écrivain, tantôt comme star des
plateaux télé, l’un n’excluant pas l’autre. Aussi étonnant que cela puisse
paraître, ma femme ne balayait jamais ces enfantillages d’un revers de main
d’adulte. Descendante de réfugiés arméniens, elle était non seulement habitée
par cet instinct de mère orientale surprotectrice et fière de son fils quoi qu’il
arrive, mais surtout elle n’avait jamais abandonné l’idée d’enfanter de grands
hommes susceptibles de rendre à la France ce que celle-ci avait donné à ses
ancêtres.
Alors plus les enfants grandissaient, plus ma femme avait du mal à cacher
sa préférence pour Xavier. J’essayais de tempérer en imposant une certaine
impartialité et droiture, mais la relation entre une mère et son fils est
parfois impénétrable pour le père. Pour ceux qui croient à la psychanalyse, on
peut parler de complexe d’Œdipe. Heureusement, Antoine se préoccupait peu de
tout cela. Il gardait avec Xavier des rapports empreints de ce mélange classique
de complicité fraternelle et de compétition virile. Il n’avait de toute façon
pas grand intérêt à affronter sérieusement un adversaire aussi inférieur que
son frère : premier de la classe, il était plus populaire au collège et
faisait la fierté de son papa. Quant à Xavier, il restait lui aussi persuadé
d’être le vainqueur : d’une supériorité intellectuelle le dispensant du moindre
effort, il enchaînait par ailleurs les amoureuses. C’est donc tout
naturellement et après avoir redoublé quelques classes qu’il quitta l’école à
seize ans malgré nos vives protestations et même les pleurs de sa mère.
Celle-ci avait beau penser que son fils adoré était trop bien pour le système
scolaire, elle ne voulait pas le voir débouler dans le monde du travail sans
formation. Xavier quant à lui ne parvenait pas à contenir son impatience et son
obsession de la réussite et des filles. Et sa relation avec sa mère n’était pas
étrangère au traitement qu’il leur réservait. Tandis qu’Antoine commença dès
son entrée au lycée une relation amoureuse avec une charmante camarade de
classe, je croisais chaque semaine mon enfant terrible dans les rues de notre
petite ville de banlieue en compagnie d’une nouvelle demoiselle.
À dix-sept ans, il entra dans la vie active et ma femme réussit à me
convaincre de lui payer un studio à Paris. Monsieur souhaitait prendre son
indépendance et raccourcir son temps de trajet pour se rendre à son travail. Même
si je montrai d’abord une certaine résistance de principe, je finis par
accepter, incapable de refuser quoi que ce soit à mon épouse. Je fis donc jouer
mon réseau pour lui trouver un studio très coquet dans un immeuble de standing
du cinquième arrondissement. Le cœur de Paris : rien n’était assez bien
pour notre futur grand Xavier. À cette époque, il venait d’entamer un nouveau
travail de commercial en cartes téléphoniques. Avec sa gouaille et ses immenses
facilités en communication, il pouvait vendre n’importe quoi à n’importe qui. Au
bout de quelques mois, il commença donc à très bien gagner sa vie grâce aux
primes. L’épanouissement et le confort matériel justifiaient ses efforts du
début, sans parler du prestige de la réussite sociale aux yeux de son obsession
grandissante : les filles. Mais il faisait tout cela « en attendant
l’inévitable succès » et trouva bien vite que le travail, chose somme
toute nouvelle pour lui, était une occupation trop contraignante. Il nous
déclara un jour détester les contraintes car elles bridaient sa créativité.
Alors il démissionna au bout de onze mois pour se consacrer à l’écriture. Bien
évidemment, nous ne savions rien de ce changement avant qu’il ne nous réclame
de l’argent. Il finit par avouer à sa mère qu’il était en fin de droits.
Les choses dégénérèrent rapidement en crise familiale. Ma
femme en voulut à son fils adoré de ne rien lui avoir dit et surtout de faire
partie des nécessiteux : les bénéficiaires du RSA. Il était trop bien pour
cela. Il salissait ses ancêtres arméniens qui ont transformé leur pauvreté
d’exilés en richesse grâce à leur travail acharné. A ses yeux, ce fils était
indigne de la famille et elle le lui fit rapidement sentir. Chacune de ses
visites à la maison donnait lieu à des interrogations de plus en plus
insistantes sur sa situation professionnelle.
« Mais mon cœur, tu es doué, pourquoi tu ne
retrouves pas un bon travail ?
-
Je te
l’ai déjà dit, maman ! J’ai besoin de temps. J’écris une pièce de théâtre
et suis sur un projet de programme court pour la télévision. Je ne peux pas me
permettre de tout parasiter avec un travail alimentaire. »
Et la plupart du temps, la conversation s’arrêtait là. Ma femme voyait bien
qu’il s’enfermait dans cette croyance en un succès imminent. Plus le temps
passait, plus les visites se faisaient rares, et finalement plus personne n’osa
aborder le sujet par peur de faire monter la tension. Pour ma part, je le
reconnais aujourd’hui : je ressentais un irrépressible mépris pour Xavier et
crains même qu’il perçut certains de mes regards empreints de reproches. Mais il
ignorait très certainement que j’étais le principal objet de ces reproches qui
me hantent encore maintenant. Qu’ai-je raté ? Pourquoi n’est-il pas raisonnable
et travailleur comme son frère ? Ai-je trop gâté mes fils ? Je chassais
toujours de mon esprit l’évidence : j’étais trop fier de mon aîné. Tandis que mon
épouse retrouvait en Xavier son propre caractère fantasque, j’admirais ma
propre rigueur dans la personnalité d’Antoine.
Vers l’âge de vingt-et-un ans, ce dernier émit le souhait
de quitter la maison pour s’installer avec Candice, son amour de lycée. Même si
comme tous les parents, nous n’étions pas prêts à nous retrouver seuls, ma
femme et moi n’avions pas le choix. Je parvins alors à dénicher pour les deux
tourtereaux étudiants en droit un joli petit appartement dans le même immeuble
que Xavier, deux étages plus haut.
Le fils modèle
À peine trois mois après notre emménagement à Paris, on décela chez papa un
cancer du pancréas à un stade avancé. Le choc de l’annonce fût immense et
j’éprouvai aussitôt une culpabilité qui depuis ne m’a plus quitté, comme un
lien de causalité entre mon départ de la cellule familiale et la maladie
foudroyante qui suivit. Dès qu’il comprit la mort imminente de papa, Xavier
sombra dans une folie inextricable, ou plutôt sa folie se dévoila dans toute sa
splendeur. Je l’ai toujours trouvé un peu excentrique, comme maman, mais il
avait le mérite de me faire rire. Aujourd’hui, il me fait trop de peine.
Pourtant je l’aimais bien mon petit frère, car même si j’avais parfois
l’impression que maman le préférait, il était une véritable source de légèreté
au milieu de toute cette pression exercée par papa. Or c’est comme si cette
légèreté perdit son modèle d’opposition, et donc sa raison d’être, quand le
père de famille disparut et emporta avec lui son exigence et sa gravité. C’est
pourquoi Xavier passa presque mécaniquement de joyeux rêveur à mythomane
pathologique et irresponsable. Cela dura une quinzaine d’années. Son
appartement était un taudis. Il dépendait entièrement du RSA depuis que maman
avait décidé de lui couper les vivres, espérant sans doute le ramener à la
réalité par la force de la nécessité. Malheureusement, le contraire se
produisit puisqu’il refusait de voir sa misère matérielle et s’enfonçait dans
ses élucubrations.
Son four était en panne et comme ses nombreux impayés de loyers
l’empêchaient de prévenir son propriétaire, il venait me rendre visite presque
tous les jours pour faire cuire ses pizzas vegan surgelées, gracieusement
offertes par ses amis. Chaque semaine, il fantasmait le point final d’une pièce
de théâtre, d’un format TV ou encore d’une comédie musicale qu’il aurait écrit.
Il n’arrêtait pas de dire « Je suis Arménien. Je vais me refaire. »
Et quand je descendais pour lui indiquer que la cuisson de son plat était
terminée – car il n’avait pas toujours un portable, ou ne répondait pas aux SMS
- je le trouvais à chaque fois, sans exception, assis devant la page de sa
messagerie AdopteUnMec. Je faisais en sorte de regarder l’écran derrière son
dos pour lire ses messages. Ils se ressemblaient tous : adressés à des
jeunes filles âgées de 18 à 22 ans, ils parlaient surtout d’elles. Mon frère
avait toujours su comment s’y prendre avec l’autre sexe, qu’il considérait
comme faible. Comme tous les Casanova cyniques, il montrait un intérêt sincère
pour ses proies et se désintéressait d’elles tout aussi rapidement une fois la
capture réussie. Le mépris, lui, était présent à toutes les étapes. En coureur
de son époque, il faisait rarement allusion à une rencontre de visu dans ses
messages. J’ai déjà constaté ce paradoxe chez bon nombre de mes amis
célibataires parisiens. Tous sont inscrits sur Adopte, tous exploitent au
maximum leur quota journalier de charmes autorisés et passent leurs journées à
envoyer des messages via cette application, mais la plupart n’ont pas le
courage – même s’ils invoquent le manque de temps ou « la flemme » -
de rencontrer ces filles avec lesquelles ils aiment tant converser. Quant à
Xavier, je me demandais d’où il sortait ses petites amies puisque visiblement,
elles ne provenaient pas du fameux site de rencontre.
Je n’osais pas lui poser la question, encore moins lui faire part de mon
avis, mais l’âge de ses petites amies fugaces était de toute évidence lié à son
refus borné de la construction. La construction, sinon d’une carrière, d’un
projet artistique. La construction, sinon d’une longue relation avec l’horizon
d’une famille, d’un couple digne de ce nom. Je suis avec Candice depuis le
lycée et même si son obsession du
contrôle et mon addiction au travail n’ont jamais facilité les choses, je sais
à quel point les concessions et le recul sur soi-même sont importants pour faire
durer un couple. Je sais également à quel point mon frère détestait – et
déteste sans doute toujours - les notions de compromis et de stabilité. Il voulait
bâtir une maison douillette et solide avec de la paille, accéder à la réussite
et à l’argent en travaillant le moins possible, ne comptant que sur ses
supposés qualités et talent. Je ne dis pas qu’il en était complètement
dépourvu. Au contraire, je l’avais vu à l’œuvre au collège : certaines de
ses rédactions étaient brillantes et des enseignants louaient ses prestations
orales lors de réunions parents-professeurs auxquelles nous assistions tous les
quatre. Des phrases comme « Il a des facilités, mais devrait les exploiter
davantage par le travail » revenaient sans cesse, me faisant alors passer
pour le timide besogneux et pas spécialement doué.
Malgré tout, je pense tenir ma revanche. Et heureusement que
ma mère finit - mieux vaut tard que jamais - par ouvrir les yeux sur son petit
dernier et cessa d’entretenir ses délires de paresseux. Candice et moi avons de
l’ambition depuis toujours et faisons tout pour parvenir à sa hauteur, contrairement
à Xavier qui la confondait avec sa fatigue naturelle et sa vacuité. Il ne
travaillait vraiment qu’à séduire de petites étudiantes parisiennes à la fois
privilégiées et intéressées. J’imagine qu’il n’en ramena aucune dans son
taudis. Elles ne se seraient jamais dévêtues dans un tel décor : odeur
permanente de tabac froid malgré la fenêtre ouverte, absence de papier toilette
et de gel douche, taches sur le canapé-lit et la moquette, peinture écaillée
des sanitaires, sans parler de la vaisselle entassée depuis des mois dans
l’évier. Certains qualifieraient tout cela d’appartement de célibataire, mais
c’était plutôt quatre murs et un toit pour un clochard. Il devait donc aller
chez ces filles et leur inventer mille histoires sorties de son cerveau de
mythomane pour qu’elles s’intéressent à lui autant qu’il avait l’air de s’intéresser
à elles. Par ailleurs, une fille est toujours plus crédule et moins regardante
à vingt qu’à trente ans. Pour Xavier, le désir de chair fraîche n’était donc
pas l’unique cause de ce filtrage permanent sur AdopteUnMec. Avec leur libido
de jeunes êtres encore en pleine découverte de leur sexualité, elles n’avaient
pas spécialement le temps, ni l’envie, de vérifier toutes les données personnelles
communiquées par un embobineur comme mon frère. Lorsque je descendais chez lui,
je ne croisais donc que ses amis, toujours là pour le taquiner sur ses
mensonges tout en remplissant son frigo. A l’occasion de quelques soirées dans
des bars, je fis la connaissance de certaines de ses aventures, toutes plus
charmantes et cultivées les unes que les autres. De vraies petites
Parisiennes : toujours élégantes, toujours intéressées. Si elles avaient
su avec qui elles couchaient...
Et puis je croisais aussi cette fille de temps en temps,
Elise, une jolie trentenaire que Xavier avait toujours beaucoup appréciée. Elle
habitait en Angleterre et venait deux à trois fois par an sur Paris. Si mon
frère avait ajouté du travail à son âme d’artiste, c’est avec elle qu’il aurait
pu être heureux. Mais puisqu’il restait enfermé dans ses élucubrations et son aigreur,
il fermait lui-même les portes d’une telle créature. Celle-ci aurait pu le
tirer vers le haut, car elle n’était ni vénale, ni méchante, mais d’un sarcasme
sans pitié à l’égard du mensonge. Or elle était déjà bien trop mûre et
professionnellement accomplie pour faire semblant de croire à la prétendue
gloire imminente de mon frère. Son amitié pour lui ne reposait pas sur ce qu’il
prétendait être, mais sur ses véritables qualités. Il la faisait rire, et c’est
la raison pour laquelle elle passait toujours un après-midi et une soirée avec lui
lors de ses passages dans la capitale. Quand je pense qu’il lui reprochait –
comme à nous tous d’ailleurs – son manque de maturité. Elle paraissait si
sérieuse et intelligente. Quel gâchis !
Skype à Elise
« Tu sais ce que tu es ? Une femme orgueilleuse et méprisante.
Allez salut ! J’en ai marre que tu me rabaisses sans arrêt. Je construis
mes relations dans le respect de l’autre et toi, tu te complais dans ton rôle
de beauté froide et inaccessible. Tu sais Élise, tu me rappelles mon frère et
sa copine parfois. Ils viennent d’avoir un gosse. Ma belle-sœur le prépare déjà
à devenir un champion, un surhomme. Le gosse est né il y a sept mois et je ne
l’ai toujours pas vu. Ils ont déménagé à Levallois. Et tu leur ressembles, mis
à part le fait que tu ne veuilles pas d’enfants. D’ailleurs j’ai été surpris
que tu ne veuilles pas d’enfants à plus de trente ans. En tant que femme, tu ne
veux pas donner la vie car tu ne t’aimes pas. Tu ne veux surtout pas créer
quelqu’un à ton image. »
« Elise, tu n’es qu’une ado,
une petite égoïste. Tu te rends compte que tu as déjà trente-et-un an ??
Et tu ne sors qu’avec des gamins avec des kilos de muscle et rien dans la tête
pour être certaine de mieux les dominer. Des crétins, en somme. À chaque fois
que je te vois, tu dis avoir un nouveau mec. Je n’aimerais vraiment pas faire
leur connaissance. Ils doivent être aussi vides que toi. »
« Tu ne me réponds pas ? Forcément, tu n’as rien à dire. Allez
ciao, Elise. Je n’ai pas d’énergie à perdre avec une petite fille comme
toi. »
« Tu sais quoi Elise ? Va te faire foutre. Je pense que ta vie à
l’étranger n’est qu’une fuite, et même des grandes vacances pour échapper à ton
père. Il n’a jamais démontré d’amour à ton égard. Ou alors tu es sa petite
préférée et tu crains de ne pas être digne de lui. Tu as vraiment un problème
avec les hommes, Elise. Tu es une castratrice. Et tu es tellement
superficielle : j’en sais bien plus sur les racailles que je branche sur
Adopte en lisant leur profil que sur ta vie, depuis le temps que je te
connais. »
« Je te signale qu’avant de partir de chez moi, tu as envoyé des
charmes à des thons depuis mon PC. Je ne paie pas l’abonnement Adopte et n’ai
droit qu’à cinq charmes par jour, que tu as gaspillés avec des vieilles de
trente ans ! Contrairement à ce que tu
racontes, je ne mens pas sur mon âge. Je mets l’âge que je fais et c’est tout à
fait normal. »
« Quasimodo ? Tu me traites de Quasimodo ? Mais ma
pauvre ! Heureusement que je ne sors qu’avec des femmes plus belles et
intelligentes que toi, sinon je me tirerais une balle. Je fréquente uniquement
des gens humainement enrichissants, ce qui n’est pas ton cas. Tu sais ma petite
Elise, il n’y a pas que le physique dans la vie. Mais regarde-toi ! Tu es banale.
Des yeux globuleux, un teint affreusement pâle et un corps tellement maigre,
limite anorexique. Ça ne m’étonne pas puisque tu ne te nourris que de pâtes et
autres plats atroces bourrés de gluten ! »
« Allez Elise. Je t’aime bien, tu sais. Si je te dis tout cela, c’est
pour toi. Car tu es certes intelligente, mais vide et très narcissique. Les
gamines comme toi imbues de leur personne ont besoin qu’on soit dur avec elles
pour avancer. Moi je m’intéresse à l’humain. J’ai coaché Karim gratuitement il
y a quelques semaines. Il en est ressorti meilleur. Tu sais qu’il est dans la
religion maintenant ? Sans quoi il aurait sans doute violé une femme. Mon
coaching lui a fait énormément de bien, comme à David. Il est très narcissique
également. J’ai dû le coacher pour l’aider à lutter contre son égoïsme et sa
superficialité. Tu devrais essayer toi aussi, car Dieu sait à quel point tu en as besoin.
Et tu fais la femme moderne et indépendante, mais jamais aucun homme
n’accepterait de travailler autant pour ce que tu gagnes. Ta vie à l’étranger
n’est qu’une parenthèse pour échapper à ton papa. »
« Tu sais Élise, je sais ce que tu ressens. Ma mère est une vieille
femme méchante, mais dans un travail sincère et empathique sur l’humain j’ai
tenté de la comprendre. Elle est dans ses idées préconçues et s’y est encore
plus enfermée depuis que mon père est mort. C’est une triste veuve en
somme. »
« Élise, tu n’es qu’une personne creuse avec une intelligence
émotionnelle proche de celle d’une huître. T’ai-je dis que je venais de
terminer mon scénario ? Le film a toutes les chances de se faire. J’ai
fait des rencontres intéressantes récemment et noué une belle amitié avec un
artiste pour qui j’ai déjà écrit une centaine de chansons. Un bel avenir
s’offre à lui et à sa sensibilité. Je le connais depuis à peine deux mois et
j’ai construis une relation bien plus sincère avec lui qu’en plusieurs années
avec toi, Élise. »
« Tu es immature, Elise. Une ado capricieuse et misandre, voilà ce que
tu es. J’imagine que tu as déjà trouvé un nouveau mec depuis la dernière fois,
avec des gros muscles et une personnalité inexistante pour céder à tous tes
désirs. Notre amitié ne peut pas fonctionner : je ne suis pas le genre de
personne que tu fréquentes et c’est pour ça que tu as besoin de me rabaisser.
Tu sais Élise, je viens de terminer un scénario et une pièce de théâtre. Ça va
se faire. Je suis un vrai artiste contrairement à toi. D’où tes moqueries pour
cacher ta jalousie à mon égard. Je vais être célèbre Élise, et pas la peine de
revenir vers moi quand le succès me sourira ! Je n’ai qu’une parole. Je
suis un mec droit, mais comme tu n’en as jamais rencontré...Allez, adieu Élise,
je te laisse à ta stagnation pendant que moi, j’avance. »
« Samir et Ahmed sont passés hier pour un dîner de ramadan. De vrais
amis. Ils ont rempli mon frigo et nous avons passé une excellente soirée dans
le partage, mis à part la copine moche que Jennifer avait ramené. Ça n’est pas
toi qui m’achèterais à manger ! Ou alors des pizzas bourrées de
gluten ! Ton cœur est sec, Élise. Je repensais à mon frère et sa copine et
me disais que vous faisiez tous les trois partie de la même race. Sous couvert
de prétendue réussite professionnelle, vous en profitez pour écraser les
autres, les personnes authentiques et généreuses comme moi. Tandis que ma mère
se fait de plus en plus vieille et aigrie, Antoine et Candice se disent que je
vais crever avant cinquante ans parce que je bois et fume. Ils attendent de
toucher le pactole pour mieux couvrir leur môme surdoué, mais je m’en fous de
l’héritage et des gens comme vous. Vous n’avez pas le temps de partager, de
vivre et de créer à cause de votre travail. Tu as fait des études, et
alors ? Tu te bases sans doute là-dessus pour mépriser les autres. Mais
toutes ces années passées à trimer ne servent à rien. Regarde, moi : j’ai
arrêté l’école à seize ans parce que le système scolaire étouffait mon immense
potentiel créatif, et pourtant je vais bientôt devenir riche. Je n’ai aucun
problème à mettre dans mon lit toutes les filles ayant les plus belles fesses
de leur salle de sport. Mon programme court pour la télévision va bientôt être
accepté par France 3. Paris sera à mes pieds et, au sommet de la gloire, je
repenserai à toi. Je me dirai que j’ai bien fait de ne pas m’accrocher, comme
Antoine et toi, à ce que la société veut faire de ses sujets. Je me dirai que
je n’aurais jamais réussi si je n’avais emprunté des chemins de traverse. »