Le bonheur n’existe pas, arrêtez
tous de le chercher. Faîtes des choses grandes, faîtes des choses belles,
faîtes des choses bonnes et les moments de joie vous tomberont sur le coin de
la tête sans crier gare. Travaillez pour ne pas cogiter, aimez pour ne pas mépriser
et surtout ne rêvassez pas. L’action est votre salut face à la dépression qui
guette les Occidentaux éternellement insatisfaits.
Tout plaquer comme vous dîtes ?
Faire le tour du monde ? Oui, et alors ? Vous emporterez vos
problèmes et ruminations dans vos bagages. Ils seront coincés entre l’anti-moustique
et le guide du Routard. Là-bas, vous vous direz que les gens sont simples et que
nous devrions prendre de la graine, nous reconnecter aux choses vraies, à la
nature. Vous irez donc, dès votre retour en Occident, courir acheter vos
aubergines estampillées bio à 4€ pièce
et gorgées de pesticides pour leur donner cette peau si parfaite. Nous avons
tant à apprendre, dîtes-vous, des sourires, de l’humilité et de la résilience des
peuples moins développés que les nôtres. Les données statistiques pourtant
visibles à l’œil nu vous passent au-dessus de votre tête mise K.O. par le l’agréable
choc culturel : le taux de chômage, le pourcentage de personnes vivant
sous le seuil de pauvreté, l’espérance de vie. Vous, les voyageurs occidentaux,
avez décidé de ne voir que les sourires. Et c’est bien normal, car après tout,
qu’y-a-t-il de plus immédiat et efficace qu’un sourire ? Alors c’est
promis, quand vous rentrerez, vous ferez tout pour accepter votre sort, ne
râlerez plus à cause de futilités, de problèmes de métro en grève que ces
peuplades rencontrées il y a quelques semaines aimeraient bien échanger contre
les leur. Telle une célébrité française partie en terre inconnue avec Frédéric
Lopez, vous vous jurez avant de quitter cette terre et ces gens croisés que
vous ne les oublierez pas et que ce voyage a changé votre vie. Mais chassez le
naturel…
Vous recommencerez à vous
impatienter, à détester votre travail, son salaire jamais assez élevé, à vous
dire que ça, ça, ça et ça pourraient être sensiblement améliorés dans votre
vie. Bref, vous n’avez rien appris de ces fameux gens simples. Et pourquoi ?
Parce que c’est ainsi. Vous êtes des Occidentaux habitués à un certain confort
depuis toujours et les voyages, quelles que soient leur intensité ou leur
durée, ne changeront pas les verres de ces lunettes qui vous ont été greffées à
la naissance, car c’est à travers elles seules que vous voyez le monde et votre
vie. Votre résolution de simplicité était pourtant biaisée dès le départ car,
lorsqu’on accepte son sort avec philosophie, on ne se pose pas de questions sur
sa vie, son environnement, et aucune envie d’évasion, aucun voyage ne peut
émaner d’un tel sens de la fatalité de l’existence. Alors c’était trop tard
pour vous, puisque vous êtes partis pour chercher des réponses à des questions
que la plupart des habitants de cette planète ne se pose pas. Vous avez bien vu
que ces autres humains travaillaient sans se demander si leurs tâches avaient
du sens et si elles leur plaisaient, vivaient depuis l’âge de seize ans avec
leur femme sans se demander s’ils l’aimaient. Qu’est-ce que ça peut faire après
tout ? Le mariage d’amour n’est qu’une invention récente des sociétés
modernes. Bref, le bonheur pour eux, c’est d’avoir de quoi manger et que toute
la famille soit en bonne santé.
Mais vous, vous ne reviendrez
pas en arrière. La société consumériste ultra mobile et la paix relative dans
laquelle vit votre pays depuis plusieurs générations sont passées par là. Vous
avez déjà goûté à la drogue du voyage et aux plaisirs futiles et fugaces que
peuvent apporter une jolie voiture, un après-midi dans un parc d’attraction ou
encore un concert hors de prix dans un stade. Vous ne tenez pas en place et les
bonnes résolutions de retour de voyage lointain s’envolent aussi vite que
celles des 1er janvier. Mais rassurez-vous, si le bonheur n’existe
pas et si les Grecs n’auraient pas pu proférer leur sagesse à l’époque de l’iPhone
et de l’A380, tout n’est pas perdu. La vie difficile à vos yeux et les
contraintes sont traversées de moments de grâce qui surprennent et ravissent d’autant
plus que nos quotidiens s’oublient dans l’action salvatrice, la pire ennemie de
la maussade oisiveté rêveuse. C’est quoi un moment de grâce ? Ce n’est pas grand-chose
si l’on refuse d’en faire quelque chose de grand. C’est aussi simple que le
ciel de Winterhude une veille de 1er mai.